Il y a 51 ans, en 1967, Kathrine Switzer bravait les interdits de l'époque en s'inscrivant (avec seulement ses initiales et nom de famille) au Marathon de Boston, qui, comme toutes les autres épreuves de course à pied excédant 1500 m, étaient interdites aux femmes.
Quand des membres de la fédération réalisèrent qu'une femme ( OMG, une FEMME !!! ) s'était introduite dans la course, ils se jetèrent sur elle pour l'empêcher de continuer, donnant lieu à une série de clichés devenus célèbres.
Cette histoire, pas si lointaine, date d'un temps où le corps médical assurait donc aux femmes que des poils leur pousseraient sur le corps si elles se mettaient à pratiquer ce genre d'activités considérées comme masculines - si tant est qu'elles en sortent vivantes, bien entendu.
Tout cela a inspiré un roman, qui sortira en septembre prochain chez Casterman !
Je n'y raconte pas la vie de Kathrine Switzer - que vous pouvez découvrir dans sa bio, Marathon Woman - mais celle d'une Catherine de mon invention, qui, en 1966, grandit un peu comme toutes les filles de son âge et de sa classe sociale, entre tâches ménagères, collège et absence quasi-totale de recours à l'information...
Pour ce roman, j'ai réalisé plusieurs mois de recherches documentaires, interwievé beaucoup de volontaires (merci), déniché et lu de la littérature....vintage.
Je ne photographie pas toutes les pages de cet excellent manuel mais le coeur y est ^^
Bref, toute cette période de recherches fut très enrichissante. Et j'en sors avec une idée plus forte que les autres, celle de l'impact hallucinant du progrès technologique et de l'accès à l'information sur le visage de l'adolescence...que cela soit positif ou négatif n'étant d'ailleurs pas forcément la question.
Voici quelques extraits du roman, en attendant le 5 septembre !
[...]
Suzanne haussa les épaules tandis que Marie reprit :
- Mon père dit que les filles ne sont pas faites pour ce genre de sport. Si tu cours trop longtemps, des poils vont te pousser partout sur le corps. Comme un homme. De la barbe aussi. Et de la moustache.
- Ha bon ? murmura Nicole. C’est atroce !
L’image s’imprima automatiquement sur ma rétine, comme si Marie avait appuyé sur le bouton de la télévision. Moi, en short blanc, couvertes de poils drus. Ou non, longs et soyeux.
- N’importe quoi ! m’écriai-je brusquement, comme si cet éclat de voix pouvait suffire à faire disparaitre la vision traumatique.
Marie me lança un étrange regard, très fugace, comme assorti d’un froncement de sourcils, mais à l’intérieur de la pupille.
Suzanne crut bon de me faire remarquer :
- Il est médecin, son père, quand même…
Je ne répondis rien, encore abasourdie. Est-ce que cela pouvait être vrai ? Y avait-il des femmes sur terre qui étaient devenues barbues parce qu’elles avaient trop couru ? Cela paraissait incroyable, je n’avais jamais rien entendu de pareil. Mais en même temps, comment remettre en cause la Science incarnée par le père de Marie ? Le mien n’était qu’ouvrier, alors par extension, j’avais forcément moins raison que lui.
[...]
- Qu’est- ce que c’est ? interrogea Madame Pichenaud tandis qu’elle le servait copieusement, trois épaisses tranches de rôti nappées de sauce luisante.
- Le journal des derniers Jeux Olympiques de 1964. Je garde tout, tu me le reproches assez. Eh bien voici la preuve s’il en faut que c’est très utile ! Cela permettra à Catherine de s’instruire. Et peut-être à toi aussi.
Je lorgnai sur le fameux journal comme s’il s’agissait d’un trésor, d’une lettre d’amour, d’un billet pour les Etats-Unis. Les jeux Olympiques, bien sûr ! Nous en avions parlé en cours d’histoire ancienne. Par contre, je ne me souvenais pas qu’il y ait eu des Jeux en 1964. Mais en même temps, je n’étais pas sûre que j’aie pu en garder des souvenirs marquants. Mes parents n’avaient pas tellement le temps de s’intéresser au sport.
- Voilà, les femmes peuvent parcourir… voyons… il tourna les feuillets encore et encore.
Presqu’arrivé à cours de pages, il s’exclama brutalement, ce qui fit même sursauter le clown triste :
- Ah, voilà ! 800 mètres. Et moins, bien sûr. D’ailleurs, avant les jeux de 1960, les femmes n’avaient le droit de courir que 100 mètres. 800 mètres, c’est une nouveauté, ma foi, mais je gage que cette fantaisie va vite être supprimée. Car voyez-vous, comme si cela avait besoin d’être prouvé, la moitié des concurrentes se sont effondrées à l’arrivée. Un spectacle bien navrant, à vrai dire. Oui, bien navrant.
Il hocha une tête oscillant entre dégoût et désolation.
- Et les hommes ? hasardai-je.
- Les hommes ? répéta-t-il, presque amusé. Et bien nous pouvons aller jusqu’au marathon, bien sûr ! Quarante deux kilomètres.
Il se rengorgea, comme s’il avait la certitude de pouvoir s’inclure dans le « nous » dès le moment où il déciderait de troquer sa blouse contre un vêtement de sport.
Quarante deux kilomètres… j’en restai admirative. Un homme pouvait donc courir une si longue distance ! Et tout cela parce qu’il n’avait pas d’utérus ? Comme la nature était injuste !
Monsieur Pichenaud trancha sa viande et déclara allègrement :
- De toute façon, je partage l’opinion de ce grand homme qu’était Pierre de Coubertin, le créateur des Jeux Olympiques modernes, pour ainsi dire, ajouta-t-il à mon intention , le rôle des femmes doit se limiter à celui de couronner les vainqueurs. Et puis, même au-delà de ça… Il est vraiment très laid de voir une femme courir. Oui, très laid.
Il nous sourit et empoigna ses couverts :
- Sur ce, bon appétit, mes chères.
Et pour finir, un petit florilège de citations sur la course à pied....
On peut laver son corps, mais comment lave-t-on son esprit ? En transpirant ! Haile Gebreselassie
Vous devez vous demander parfois ce que vous faites là-bas. Au fil des ans, je me suis donné mille raisons pour continuer à courir, mais ça revient toujours au point de départ. Ça se résume à l'auto-satisfaction et un sentiment d'accomplissement. »
- Steve Prefontaine
«J'ai toujours aimé courir ... c'était quelque chose que je peux faire par moi-même, et sous mon propre pouvoir. Tu peux aller dans n'importe quelle direction, à la vitesse que tu souhaites, en luttant contre le vent si tu en as envie et à la recherche de nouveaux paysages uniquement sur la force de tes pieds et le courage de tes poumons. »
- Jesse Owens
- Jesse Owens
« En jogging, il n'y a pas d'importance si vous arrivez en premier, dans le milieu du peloton, ou en dernier. Vous pouvez dire : « J'ai fini. » Il y a beaucoup de satisfaction à cet égard. »
- Fred Lebow, cofondateur du marathon de New York
- Fred Lebow, cofondateur du marathon de New York
« La course est la plus grande métaphore de la vie, parce que vous en tirez ce dont vous en mettez. »
- Oprah Winfrey
- Oprah Winfrey
« Courser nous apprend à nous remettre en question. Ça nous apprend à nous repousser au-delà d’où nous pensions que nous pouvions aller. Ça nous aide à découvrir ce dont nous sommes faits. C'est ce que nous faisons. C'est ce dont il s'agit. »
- PattiSue Plumer, Olympien américain
- PattiSue Plumer, Olympien américain
A ma grande horreur,
j'ai constaté dans plusieurs chroniques qu'une phrase du roman a été mal interprétée.
Cela me contrarie d'autant plus que cela véhicule une idée tout à fait opposée à celle qui était souhaitée...
Bref, le passage en question se joue entre Izia, la jeune fille de 2019, qui taquine sa grand-mère Catherine avec un cliché souvent entendu :
- Genre dans la salle des profs, t’étais la vieille féministe qui saoule tout le monde... - Ah non , celles-là, comment dire… il me semble que leur combat est plus motivé par de la rancoeur que par le désir de faire progresser le droit des femmes.
En la relisant, je comprends maintenant pourquoi elle a pu être mal comprise... conduisant à un contresens quasiment total.
Ce que Catherine sous-entend, et que j'aurais sûrement dû préciser, mais il est vrai que pour moi c'était limpide, c'est que l'aigreur et la revanche ne font justement pas partie des attitudes féministes...Une vraie féministe prône simplement l'égalité hommes-femmes, et celles dont parle Izia, justement, n'en sont pas.
Mais encore une fois, je comprends maintenant en quoi la formulation a pu conduire au contresens.
6 commentaires:
Je l'aime d'amour ♥
Et quelle couv' !!!
Super sujet, super titre, et les extraits mettent vraiment en appétit !
Bonjour Annelise, je découvre votre roman (et votre blog) grâce à Babélio et ça me donne très envie de me le procurer, il a l'air hyper intéressant. Je vais profiter des flâneries du samedi pour ce faire ;-)
Merci pour cette remise en perspective (un peu effarante, il faut l'avouer) et très bon week-end !
Bonjour Annelise Heurtier, j'ai découvert votre oeuvre il y a trois ans avec Sweet Sixteen que j'ai adoré et plus récemment avec Le carnet rouge (le sujet est très intéressant) et La fille d'Avril. C'est un roman qui m'a beaucoup plu. Je ne me doutais pas avant qu'à la fin des années 60 les femmes pouvaient encore être vues ainsi. Heureusement il y a tout de même eu pas mal de progrès depuis ;)
Bonne journée
Bonjour Annelise Heurtier, j'ai découvert votre oeuvre il y a trois ans avec Sweet Sixteen que j'ai adoré et plus récemment avec Le carnet rouge (le sujet est très intéressant) et La fille d'Avril. C'est un roman qui m'a beaucoup plu. Je ne me doutais pas avant qu'à la fin des années 60 les femmes pouvaient encore être vues ainsi. Heureusement il y a tout de même eu pas mal de progrès depuis ;)
Bonne journée
Merci Hermione !!
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