En ce moment, je travaille sur un roman qui revient sur une page peu glorieuse de l'histoire française, dans les années 30. Beaucoup de travail, de documentation, films, articles, essais, coupures de presse, d'émissions de radio (merci France Culture avec qui on peut même être incollable sur les bambous gravés)... de questions, de doutes, parfois, je me demande pourquoi je m'engage dans des chantiers pareils... mais je continue quand même !
En tout cas, si vous ne savez pas quoi faire ce we, je vous propose une petite visite virtuelle à l'Exposition coloniale de 1931, un véritable Disneyland à la gloire de la "mission civilisatrice" de la III République. Je n'y étais pas, mais j'espère qu'on s'y croirait tout de même.
(évidemment, les opinions des personnages n'engagent pas la mienne 😱)
Le maréchal Lyautey, commissaire de l'exposition, voulait qu'elles soient systématiquement présentées ensemble (on comprend l'idée 😬).
Après quelques jours de pluie qui
firent craindre aux enfants Noblecourt un report de la visite, le dimanche
s’avéra aussi radieux qu’on pouvait l’espérer.
On se rendit à l’Exposition en métro, Monsieur Noblecourt avait tenu à
emprunter la ligne 8 qui avait été construite spécialement pour l’occasion, il
fallait faire honneur au génie français.
La Porte Dorée franchie, la famille fut plongée dans un autre univers.
Pousser les grilles de l’Exposition, c’était s’ouvrir à un monde inconnu,
reconstitué comme par magie en plein cœur de la ville. Celui d’une « Plus
grande France » flamboyante et bigarrée, conquérante et civilisatrice,
scandée de palmiers, de senteurs d’épices et de miels, d’oriflammes vert de
jade ou jaunes safran, de musiques étonnantes, tambourinantes ou flûtées, qui
s’infiltraient au plus profond des cœurs pour les faire voyager.
On commença par admirer la façade du Palais des Colonies, seul bâtiment qui aurait
vocation à rester une fois l’Exposition terminée. En haut des marches
triomphait une immense Athéna coiffée d’un casque gaulois, 8 mètres de gloire et de splendeur dorée.
« La France a-ppor-tant la paix et la pro...pros-périté aux colonies »
déchiffra la petite Marie-Andrée, heureuse de mettre à profit ses compétences
en lecture, fraichement acquises.
On entama la visite par l’avenue Dausmenil, consacrée aux sections des autres
puissances européennes. L’empire britannique y faisait figure de grand absent,
et Monsieur Noblecourt déclara que cela n’était pas étonnant, crise ou non, il fallait bien
que la perfide albion fasse honneur à sa réputation.
On y passa assez rapidement, tout le monde était très impatient d’arriver aux
pavillons de l’empire français. On garderait le zoo et les attractions pour la
fin de la journée. On venait quand même avant tout pour se cultiver.
Les pavillons situés de part et d’autre de l’Avenue des colonies surpassèrent
les attentes de toute la famille. Certes, ils avaient étudié le plan, imaginé
le charme de la statuaire indienne, l’habilité des potiers de somalie, des
brodeurs tunisiens, la majesté des spahis en burnous blancs, la blancheur des
coupoles ou la délicate majesté de l’art indochinois, mais tout cela n’était
rien en comparaison de ce qu’ils découvrirent ce jour-là.
Même Madame
Noblecourt, qui regimbait toujours à se divertir (la faute à des années de
pensionnat chez les sœurs carmélite), avait laissé son âme d’enfant ressurgir. Quelle
étrange chose que ce village soudanais, construit avec de la terre ! Que
ces artisans africains sculptant le bois avec adresse ! Quel enchantement que
ces danseuses annamites, avec leurs jolis petits pompons sur la tête ! Et le
cortège du roi Behanzin ! Et ces minarets, ces pagodes, ces temples abritant
des jardins luxuriants, ces immenses statues grimaçantes dont on frémissait
avec délice ! Ces couleurs ces tambours ces odeurs ces chants ! C’était
presque trop, on passait d’un univers à l’autre, de l’enchantement à la
stupéfaction, du raffinement des soieries à la rudesse de masques terrifiants, non
vraiment, personne n’était préparé à tant d’émotions !
Vers onze heures trente, Irène insista pour déguster un café maure, tandis que
Marie-Andrée réclamait un tour de pirogue sur le lac. Pourquoi s'asseoir, il y avait encore tant de
choses à voir et à faire ! La promenade à dos de chameau ! Le scenic
railway ! Les girafes et les éléphants ! Et puis, on n’était même pas
monté dans le petit train jaune ! Un seul dimanche n’y suffirait pas,
assurément.
- Ne t’inquiète pas, mon enfant, la rassura Monsieur Noblecourt. Nous
reviendrons. Victor, Irène, n’est-ce pas que vous pourrez emmener de nouveau ce
cher petit ange ?
Les deux ainés approuvèrent. Y passer chacun de leurs dimanches jusqu’à
novembre ne poserait aucun problème. On voulut même revenir en soirée.
- Regardez, Papa, déclara Irène, programme à l’appui. Il serait presque insensé
de rater pareilles fêtes.
Edouard Noblecourt jeta un œil au dépliant, offert par Suze, l’amie de votre estomac.
Fête de la lumière le 5 juin, Nuit tahitienne le 19, Féerie coloniale le
13 juillet....
Tout le monde dut bien reconnaitre que le programme était alléchant. Il fut d’ailleurs
décidé qu’on prendrait un abonnement, 20 francs pour des visites à volonté seraient
vite rentabilisés.
Après un rapide détour pour admirer les tapis persan, on s’accorda une pause
méritée au restaurant indochinois. Avec son toit aux pointes recourbées et ses
décors de laque rouge, il passait pour être le plus raffiné de l’Exposition.
Sur une terrasse ombragée, au bord du lac, on se fit servir des mets qu’on
n’avait jamais mangés, de la salade de poisson au citron vert et piment pour
Irène, du canard aux cacahouètes pour Monsieur ou encore de la papaye verte
pour Victor. Marie-Andrée s’endormit devant son riz.
Sur le coup de quinze heures, un peu groggy par le repas, les cithares et les
tambourins, on reprit la visite. Les allées étaient déjà plus denses, à
certains endroits, il était presque impossible de voir quoi que ce soit.
Marie-Andrée commença à pleurer, elle avait perdu ses découpages reçus sur le
stand marocain. La proposition de Madame Noblecourt d’aller visiter les
pavillons des missions religieuses fut écartée sans ménagement,
on irait plutôt au souk, ce serait tout de même plus amusant.
Puis vint l’heure où il fallut songer au retour. Marie-Andrée était
fatiguée et il fallait trancher. Encore une ou deux visites, pas plus.
On décida de mener la petite dans ce fameux zoo que l’on venait de construire
grâce au concours des allemands, pionniers dans ces nouveaux parcs en plein air. Marie-Andrée l’avait bien mérité. A cette perspective, la
petite manifesta un regain d’énergie.
Mais avant cela, il fallait tout de même aller voir une dernière chose.
Le temple d’Angkor-Vat, clou de l’Exposition, apothéose de 55 mètres de haut,
avec ses lignes de faîtes à la conquête de l’horizon.
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