Annelise Heurtier, autrice jeunesse
BREAKING NEWS
lundi 12 septembre 2022
Sweet Sixteen, 10 ans après
mardi 30 août 2022
La parure
J'ai découvert La parure quand j'avais 13 ou 14 ans, en version anglaise (The necklace) et je me rappelle encore l'émotion ressentie à la dernière page de cette nouvelle. Aujourd'hui encore, elle fait partie de mes préférées, avec les tout aussi cruelles Boule de Suif ou Aux champs.
Aussi, je suis très heureuse que les éditions Thierry Magnier aient accepté mon projet d'adapter cette histoire en album.
Delphine Jacquot a choisi de représenter les personnages sous la forme d'animaux, à la manière de Grandville, dessinateur de la première moitié du 19e. Il est connu pour ses planches satiriques (sur ses contemporains ou la monarchie de juillet) et des illustrations (notamment des Fables de La Fontaine), que Baudelaire comparait à un "appartement où le désordre serait systématiquement organisé".
Ci-dessous quelques caricatures (source wikipedia)
Au départ, j'étais un peu sceptique, car dans La parure, on n'est pas du tout dans la caricature. Les personnages sont très justes et très humains. Mais j'ai trouvé l'idée intéressante et j'ai accepté.
Au final, je trouve que Delphine s'en est merveilleusement bien sortie.
La Parure est sortie 7 septembre en librairies !
vendredi 8 juillet 2022
La France postcoloniale peut-elle faire société sans se pencher sur son passé colonial ?
Faut-il oui ou non "déterrer" les exactions de l'histoire de France pour les mettre en lumière ? C'est une question qui peut faire débat. D'aucuns pensent que c'est primordial, d'autres que cela ne sert qu'à exacerber des tensions.
Sur cette question, une tribune a récemment été publiée dans Le Monde, par deux élus de la République, Louis Mohamed Seye et Ismaïla Wane. Ils se posent la question "La France postcoloniale peut-elle faire société sans se pencher sur son passé colonial ?"
Selon eux, des parties violentes de l’histoire coloniale sont très souvent occultées, entrainant "des incompréhensions, de la frustration et des douleurs chez les citoyens qui ont un lien généalogique avec cet ex-empire colonial français. Les livres scolaires européocentriques destinés à l’école primaire et au collège, par exemple, doivent être de ce point de vue repensés pour une meilleure prise en compte de ces mémoires diverses, mais de cette histoire commune.
[...]
Ces non-dits créent une violence symbolique pour tous ceux que cela concerne [...] Nous devons trouver un chemin – grâce à la co-construction entre la culture de l’annulation et l’histoire écrite par les vainqueurs.
[...]
L’objectif est de déconstruire l’imaginaire colonial et de revivifier ces mémoires douloureuses qui concernent l’empire colonial français en explorant des éléments dont on parle trop peu :
le travail forcé et les statuts des personnes dans les colonies ;
les zoos humains et les expositions coloniales ;
les tirailleurs sénégalais ou malgaches, les tirailleurs algériens, les tirailleurs indochinois, les spahis marocains…
l’appareil politique et administratif sous les colonies ;
le patrimoine colonial en France (notamment les statues) ;
les engagements anticolonialistes ;
l’absence d’un musée d’histoire coloniale…
Cette liste n’est pas exhaustive et bien d’autres domaines pourront être explorés."
[...]
Il ne faut pas oublier également l’engagement de citoyens français contre la colonisation alors même qu’ils n’ont aucun lien généalogique avec les pays colonisés.
[...]
L'article dans son intégralité est à lire sur le site du Monde !
https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/07/02/deconstruire-l-imaginaire-colonial-et-revivifier-les-memoires-douloureuses-qui-concernent-l-empire-francais_6133074_3232.html?fbclid=IwAR3_K5LvQU5nq3fHByksLOZJa-_imCQgLnwY5r3YtZWFOEg3PLIdt9rKyiQ
samedi 11 juin 2022
Own-voice
Depuis quelques années, certains.nes sont d'avis qu'on ne devrait pas écrire sur des sujets pour lesquels on n'est pas concerné. C'est un débat que je trouve intéressant, car il nous fait osciller entre le " qui suis-je pour me mettre à la place d'un autre" et le " l'empathie ne nous le permet-elle pas ?".
Personnellement, je suis ouverte à toutes les discussions, tant qu'elles se font dans le respect et l'ouverture à l'autre (c'est l'histoire du 6 et du 9, voir ci-dessous) et j'aime à penser qu'on s'enrichit toujours à entendre des points de vue différents des nôtres.
C'est la raison pour laquelle je crois qu'il y a de la place pour tout le monde.
C'est aussi la raison pour laquelle j'aime tant écrire sur des cultures et époques différentes, qu'il s'agisse de m'indigner contre des injustices, des inégalités, ou de mettre en lumière des richesses et des modes de pensée desquels on a tous à apprendre.
Evidemment, l'angle et le prisme retenus sont importants. D'ailleurs, dans mes romans, lesdites cultures ne sont pas le sujet central, mais le décorum d'un sujet plus universel.
En tous cas, à chaque fois que je m'y attelle, c'est un énorme travail de documentation et de mise à nu de soi pour tenter de revêtir l'habit de l'autre, avec respect, honnêteté, humilité. Et si par malheur je le fais mal, c'est à moi que je fais du tort.
Dans ce cadre, je vais vous raconter une petite histoire à propos de Sweet Sixteen, un roman qui n'est donc pas "own voice", puisque j'y raconte l'histoire des neuf premiers étudiants noirs qui sont entrés dans un lycée de blancs, dans les années 50 aux EU (quoique...il est aussi question de blancs dans ce roman, si tant est qu'on peut se sentir légitime ou non par la seule couleur de sa peau).
Il s'agit d'un roman qui est très souvent étudié en classe de collège et pour lequel je fais beaucoup de rencontres scolaires, 10 ans après.
L'une d'entre elles a été fondamentale dans mon parcours d'autrice.
C'était il y a 6 ou 7 ans, dans l'ouest de la France.
A la fin de la séance, une jeune fille a demandé à prendre la parole. Devant une soixantaine d'élèves (et on sait combien le regard de l'autre peut être pesant à cet âge là), elle a expliqué que toute sa famille était raciste, et qu'elle, élevée dans ce contexte, ne s'était jamais vraiment interrogée sur ses propres croyances. Elle aussi s'imaginait donc raciste, depuis 13 ans.
Jusqu'à ce qu'elle se retrouve avec Sweet Sixteen entre les mains, lecture imposée par sa professeure de français.
Je n'oublierai jamais les paroles de cette jeune fille.
" Grâce à vous, madame, et à votre livre, j'ai l'impression d'avoir ouvert les yeux. Maintenant je sais que je ne serai plus jamais raciste, de toute ma vie".
C'est un souvenir que je chéris et que j'aime à ressortir de temps en temps, quand je doute ou quand je suis agressée sur le choix de mes sujets. Parce que si mon travail n'a servi qu'à une chose, à faire grandir une seule personne, alors je me dis qu'il n'est pas tout à fait illégitime. Et que quand il s'agit d'aller vers davantage d'humanité, on est tous concernés.
Je finirai en citant Alain Mabanckou "Quand on ne regarde le monde que par le prisme de la politique identitaire, on est entré dans un espace qui est le contraire de la littérature.”
jeudi 5 mai 2022
White-saviorism
Des sauvages et des hommes, roman Casterman, 13 ans et +
Dernièrement, une lectrice a soulevé - et regretté - le fait que ce soit Victor, l'homme blanc, qui permette de mettre fin à l'odieuse mascarade dont les kanaks furent victimes dans cette histoire.
Je la remercie de me permettre de réfléchir à ce sujet...d'autant qu'elle l'a fait de manière bienveillante et pas du tout dogmatique.
Je n'ai pas du tout la prétention d'avoir un avis intéressant/pertinent sur cette question, mais voici ce qu'elle m'inspire en toute humilité (et naïveté, sûrement), à propos, et exclusivement à propos, de mon roman.
Tout d'abord, je comprends évidemment que l'on puisse regretter le fait que - pour faire très simple- ce soit le personnage blanc qui sauve le noir opprimé (formulé de cette façon, cela paraît très caricatural, je ne pense pas que mon roman le soit, vous pouvez le lire ^^)
Cependant, nous sommes dans le cadre d'un roman historique, une fiction inspirée de faits réels. Et, comme à chaque fois que je travaille sur une époque ou une culture particulière, ma première préoccupation est celle de la vraisemblance. Je me dois de proposer un récit, qui, même s'il est romancé, offre l'assurance que l'histoire aurait pu se passer comme telle, qu'elle est représentative d'une époque, d'une société, de modes de pensées, même regrettables. Mon but n'est pas de ré-écrire l'histoire (même si l'envie, parfois, est là !).
*Tout d'abord, en débarquant à Paris, les océaniens étaient complètement perdus. On peine à imaginer le choc, le contraste entre les quelques kilomètres de la réserve (c'est le terme de l'époque) dans laquelle ils étaient parqués en Nouvelle-Calédonie, et les grands boulevards parisiens. Ils étaient effrayés, à tel point qu'au départ, ils avaient même peur de sortir de l'enceinte de l'enclos.
[...] L’arrivée dans la capitale avait été saluée par des hourras, qui avaient vite laissé place à des exclamations, des stupéfactions, de l’effroi. Quelle circulation ! Quelle furie de vie, de mouvement ! La chaussée était envahie par des engins roulants de toute sorte, des autocars, des vélos avec ou sans remorque, des fiacres tirés par des chevaux, des motos chevauchées par des hommes en lunettes et bonnets de cuir, des automobiles luisantes aux lignes courbes…Et que faisaient tous ces passants, à marcher si vite ? Quel étrange quotidien les pressait ainsi ?
On était frustré, on n’avait pas les mots pour décrire cet inconnu, on se sentait bête et apeuré, comment parler quand on n’avait pas les étiquettes pour désigner ? Comment s’appelait cette chose-là ? Et cette autre ? À quoi servait-elle ? Et comment ? Était-ce dangereux ?
Jean, le postier, jetait parfois des mots que ses compagnons faisaient rouler dans leur bouche comme des friandises que l’on goûte pour la première fois. Kiosque. Feu de signalisation. Volets. Patlane. Ou non, Platane, plutôt.
On se disputait les places devant les fenêtres ou sur la plateforme arrière pour ne rien rater, tandis que les chaperons tentaient tant bien que mal d’éviter que l’un ou l’autre ne tombe sur la chaussée. On était heureux d’être à l’abri de cet habitacle de tôle, tous ensemble pour affronter ce nouveau monde. C’était un peu comme les nuits de cyclone, à plusieurs on avait moins peur.[...]
– Bien ! Mon équipe et moi allons vous répartir dans vos baraquements. Ensuite, nous vous remettrons vos costumes, et nous vous expliquerons comment tout cela va se dérouler. Je vous rappelle tout de même la règle la plus importante : interdiction absolue de sortir de l’enceinte du Jardin. Paris regorge de dangers contre lesquels votre innocence ne vous a jamais préparée. Certains quartiers sont de vrais repaires de brigands. Ces tristes sires n’hésiteront pas une seconde à vous détrousser ou vous passer à tabac sans vous laisser la moindre chance de vous en sortir. Caïds, trafiquants, arnaqueurs, vous n’imaginez pas la vermine qui grouille dans cette ville. Il y a même des faux-hommes !
À ces mots, les chaperons hochèrent gravement la tête.
Edou n’était pas rassuré. Il n’avait pas pensé que Paris puisse être si dangereux. Élisée s’inquiéta. Est-ce qu’au moins, dans ce village, ils seraient protégés ?Est-ce que cette palissade était solide ? Et qu’étaient-ce donc que ces faux hommes, en premier lieu ?
[...]
On n’avait pas le choix. Il ne fallait pas prendre ces spectacles pour autre chose que ce qu’ils étaient. Des rôles à jouer. La FFAC leur demandait de divertir le public. Pour quelques mois seulement. Et elle les rémunérait correctement.
Si on arrêtait de travailler, on serait forcés de quitter cet endroit, qui était l’unique logement que l’on avait. Il faudrait se débrouiller. Aller à Marseille. Prendre les billets de bateau. Les payer. On n’avait pas d’argent. Et personne pour en prêter. On ne connaissait rien ni personne de ce pays si étranger, on n’était même pas des citoyens, on n’était rien.
Et puis…il y avait autre chose, qu’on ne dit qu’à demi-mot.
Si on rompait le contrat, si on revenait prématurément…Tout se saurait. Et au pays, tout le monde connaîtrait la vérité. Tout le monde saurait ce qui s’était passé, ce qu’ils avaient été obligés de faire, ce qu’ils avaient déjà fait. L’humiliation serait partagée, elle se répandrait sans qu’on puisse l’arrêter, insidieusement, dans toutes les maisons, dans tous les lits, comme la fièvre des moustiques à la saison des pluies. Tout le monde saurait que pour les blancs, où que l’on aille, on ne serait toujours que des sauvages et des idiots que l’on peut berner. Tout le monde saurait qu’on avait trahi la mémoire des ancêtres, qu’on avait laissé dévoyer leurs rites en piétinant leur sens, leur complexité.
Et qui sait ce qui pourrait se produire ensuite ? Le sang avait assez coulé.
Les Chefs n’eurent pas besoin d’en dire plus.
On n’avait pas le choix.
Tout le monde sut qu’il faudrait donc réfréner la violence, pour ne pas être expulsés, pour que personne ne sache jamais rien, et pour être au-dessus d’eux,pour ne pas leur donner raison. Pour rester dignes.
Tout le monde sut qu’il faudrait se taire en rentrant.
Personne ne parla plus de la Pancarte et du programme.
Personne n’en parla plus, et même si on s’efforça de les enterrer bien loin, sous des peintures corporelles et des rires un peu forcés, ils étaient bien là, à chaque pas de danse, à voiler les yeux et à enduire les cœurs de chagrin.
[...]
Lui aussi avait déjà réfléchi au problème, et il n’en voyait pas l’issue. Ils ne pouvaient pas sortir dans Paris tous seuls. C’était de la folie. [...] Ils se perdraient, à coup sûr, ou se feraient arrêter par les gendarmes. Par ailleurs, la perspective de faire une mauvaise rencontre les inquiétait toujours, même si ce n’était plus forcément pour les mêmes raisons qu’au départ. Car à force de voir les Parisiens, ils avaient repris confiance : en combat singulier, ces gringalets n’avaient aucune chance. Mais les surveillants leur avaient fait comprendre que leur force physique était loin d’être une protection. Un jour, en effet, un grand gaillard venu de Lifou avait menacé :
– La
prochaine fois qu’un visiteur nous jettera des cailloux, du pain ou des cacahuètes,
je l’attrape par le collet et je l’intègre dans le spectacle !
Le
surveillant à qui il avait adressé ces doléances le lui avait fortement
déconseillé :
– Je te rappelle que vous n’êtes pas citoyens français. À la moindre bagarre, c’est vous qui serez jetés en prison. Dieu sait si vous en sortirez, et si vous reverrez un jour vos cocotiers.
[...]
Au final, il est clair que l'on peut déplorer que les Océaniens n'aient pas pu se sauver eux-mêmes. Mais c'est précisément (aussi) ce que ce roman raconte de cette époque, l'oppression de peuples et l'ensemble des mécanismes qui les rendaient prisonniers d'une condition dans laquelle on voulait les maintenir. On vient observer l'homme noir dans son enclos avec curiosité, amusement ou indifférence, ou pour se rassurer sur son prétendu degré de civilisation. La seule façon de faire éclater le scandale est qu'un homme blanc se montre dans la même position. C'est terrible. Et le pire, c'est que finalement, on n'a pas tellement évolué. Faudrait- il que des français, des anglais ou des allemands aillent se noyer dans la méditerranée pour que l'on réagisse vraiment ?