BREAKING NEWS

! BREAKING NEWS ! Je quitte la Martinique à l'été 2022. N'hésitez pas à me solliciter pour programmer des rencontres dès la rentrée, je serai enchantée de vous retrouver !

lundi 8 novembre 2021

Des sauvages et des hommes

Quand j'habitais à Tahiti, je ne manquais jamais d'aller au FIFO (Festival International du Film documentaire Océanien), où l'on pouvait voir des courts métrages époustouflants en provenance de toute l'Océanie. C'est à cette occasion que j'ai découvert l'histoire des Kanaks exhibés au Jardin d'acclimatation en 1931, via un film consacré à Christian Karembeu, dont le grand-père avait fait partie des engagés officiellement partis pour montrer leur culture aux parisiens. Cette histoire m'a profondément marquée. 





Pendant longtemps, je l'ai gardée dans un coin de ma tête, sans savoir comment trouver une façon de m'en emparer. Je cherchais un lien avec le présent, une histoire de non-dits, d'humiliation refoulée, de violence contenue et sédimentée, reportée sur plusieurs générations, tout en me gardant bien de porter un jugement. 
L'année dernière, peut-être parce que mon compagnon avait évoqué la possibilité de candidater pour un emploi en Nouvelle-Calédonie, cette histoire a ressurgi. 
Et j'ai décidé qu'il fallait peut-être tout simplement raconter l'histoire, un peu à la façon de Sweet Sixteen, c'est à dire en restant fidèle au contexte historique, aux tenants et aboutissants de cet épisode, à l'époque et ses modes de pensées, mais en y mêlant des éléments de fiction..si tant est qu'une documentation suffisante puisse exister. 
Je me suis donc embarquée pour de longs mois de recherches dépassant largement la seule histoire de cette mission culturelle vendue à la centaine d'engagés.
Construction du racisme et évolution des théories entre monogénisme et polygénisme, conquêtes coloniales, zoos humains, France de l'après grande guerre, mode de pensées, courants artistiques et littéraires, architecture...mais aussi, bien sûr et surtout, l'histoire très particulière de la Nouvelle-Calédonie -longtemps présentée comme le pendant négatif de l'Eden tahitien - entre acculturation occidentale forcée et défense des cultures traditionnelles, et des impacts économiques, sociétaux, psychologiques qui ont été engendrés. Au delà de tout cela, je suis maintenant tout à fait incollable sur la culture de l' igname comme indicateur du temps social, les bambous gravés, le syncrétisme religieux ou l'échec des colons Feillet ;-)  


Le roman s'appelle Des sauvages et des hommes. Publié par les éditions Casterman en avril prochain, il sera à lire à partir de 13/14 ans. Les documents d'archive que vous pourrez y trouver (coupures de journaux, contrat de louage, lettres...) sont réels. 
Pascal Blanchard, historien et spécialiste de la question coloniale, nous fait l'honneur de le postfacer, via un éclairage sur les "zoos humains". 



Véritables coupures de journaux de 1931



Je remercie toutes les personnes, concernées de près ou de loin par la Nouvelle Calédonie, qui l'ont déjà lu, et avant tout bien sûr, mon éditrice pour sa confiance. 



Illustration de couverture Aline Bureau



Voici le premier chapitre.
(j'utilise le mot péjoratif "canaque" qui était celui qui était en vigueur à l'époque, l'orthographe "Kanak" n'ayant été rétablie que dans les années 70 sous l'impulsion de JM Djibaou.)



FÉVRIER 1930

 

 S’il y avait bien une chose que Georges Bartholomoy avait en horreur, c’était qu’on le dérange pendant qu’il fumait son cigare. 
Installé dans un fauteuil aux accoudoirs patinés par des années de discussions animées, il venait justement d’allumer un corpulent Havane. C’était une pépite réconfortante et subtile, aux notes de caramel et de cuir, dénichée par son fournisseur de la rue Saint-Honoré. Son seul défaut était le prix, dont il avait été contraint de s’acquitter avec ses propres deniers, les finances de la Fédération ne permettant plus de financer ce genre de petits plaisirs. 
La porte s’ouvrit alors que Georges Bartholomoy tirait sur la deuxième des trois bouffées destinées à l’allumer. De surprise, il en avala la fumée et fut pris d’une quinte de toux pour le moins désagréable. Pour tout dire, il avait la gorge en feu. Devant lui se tenait Maurice Seguin, ami de longue date et Secrétaire général de la Fédération française des anciens coloniaux. Les yeux écarquillés, en sueur et bras de chemise, il semblait miraculeusement délivré de cet assoupissement corporel qui le caractérisait.
 Des Canaques ! cria Seguin en dressant au plafond un index triomphant.
Bartholomoy s’était levé, moins pour accueillir son ami que pour tenter de reprendre une respiration normale. Ses yeux le piquaient, tout comme l’irritation qui lui était montée au nez. Un cigare de ce prix !
– Eh bien, quoi, des Canaques ? toussa Bartholomoy dans un mouchoir tiré de sa poche. Ils ne sont pas aux portes de Paris, que je sache !
Seguin s’avança vers son ami et lui empoigna les bras.
– La voilà, la solution à nos problèmes de trésorerie. Des Canaques ! Des Canaques à Paris !
Bartholomoy se débarrassa de l’étreinte de Seguin pour déposer son cigare éteint dans un cendrier en nacre, ramené du Tonkin ou de Cochinchine, il ne savait plus, avec le temps et le développement de l’empire colonial, la Fédération était devenue un vrai cabinet de curiosités.
- Eh bien, explique toi ! C’est insupportable, à la fin.
Seguin se dirigea dans le canapé et se laissa tomber à sa place habituelle, côté droit, au plus loin de la cheminée (il transpirait toujours tellement qu’il fuyait toute source de chaleur superflue).
– Bien. Tu n’es pas sans savoir que l’année prochaine se tiendra l’Exposition coloniale, au bois de Vincennes.
Bartholomoy ne prit même pas la peine de répondre. Evidemment. L’Exposition coloniale de 1931 était déjà de toutes les conversations. Entièrement dédiée à la gloire de la mission civilisatrice de la Troisième République, elle s’annonçait grandiose. L’événement de la décennie. Deux cents colonies y seraient représentées, du Gabon à la Guyane, en passant par le protectorat du Maroc ou les Indes. Chacune d’entre elles occuperait un pavillon fidèle à l’architecture de son territoire. Aux dernières nouvelles, un mini-chemin de fer et quarante-six bateaux seraient affrétés pour le plus grand plaisir des visiteurs, sans compter les restaurants, les fêtes et les parades dans les rues. Les Parisiens vivraient une expérience unique : faire le tour du monde en une journée, tout en bénéficiant d’une leçon de choses et d’humanité ! Encore une preuve que les bienfaits de la colonisation s’étendaient bien au-delà des frontières des territoires concernés.
Seguin reprit :
– Je tiens de source sûre qu’aucun Canaque ne sera envoyé. L’édification du pavillon de Nouvelle-Calédonie va déjà coûter plus de 375 000 francs, les conseillers généraux de l’île ne peuvent pas débourser un centime de plus.
Il ménagea une pause mystérieuse, qu’il employa à rouler les pointes de sa moustache relevée aux extrémités, façon 1900.
– C’est notre chance, Georges. Profitons de ce manque pour faire venir une troupe !
 Mais pour quoi faire ? s’esclaffa Bartholomoy.
– Comment ça, pour quoi faire ? Pour les exposer, voyons ! Les Canaques ont toujours eu beaucoup de succès, tu sais bien.
Bartholomoy hocha la tête. Lui-même gardait un souvenir vivide de la dernière exhibition de Canaques, en 1889, alors qu’il avait huit ou neuf ans. Par la suite, il avait passé plusieurs semaines à « jouer aux Canaques » avec ses frères, et tous s’étaient beaucoup amusés à terrifier la femme de chambre, à grand renfort de grimaces et de hurlements.
– Nous offrirons un spectacle autrement plus passionnant que celui d’indigènes présentant benoîtement leur artisanat, poursuivit Seguin. Des Canaques ! Des Canaques assoiffés de sang !
Amusé, Bartholomoy enfonça ses pouces dans les poches de son veston.
– Des canaques assoiffés de sang ? Tu sembles oublier un détail.  Le maréchal Lyautey l’a dit lui-même, « aucune monstruosité indigène indigne de la République », ne sera tolérée dans l’enceinte de l’Exposi...   
D’un geste de la main, Seguin coupa la parole de son ami.
– Attends, je n’ai pas terminé.
Il inclina son buste en avant, offrant à Bartholomoy le  spectacle peu engageant de son front luisant de transpiration :
–  Ecoute, car c’est là que réside toute la subtilité de la manœuvre. Pour garder la main sur le contenu de l’exhibition, nous exposerons les Canaques en marge de l’Exposition coloniale. Au Jardin d’Acclimatation, à côté des crocodiles. Je viens d’en obtenir la confirmation : il est possible de louer un enclos, à un prix tout à fait raisonnable.
Seguin se rengorgea. Bartholomoy se leva et alla se poster près de la fenêtre, ourlée de rideaux aux motifs géométriques qu’avait choisis son épouse, toujours au fait des tendances. Elle avait un goût très sûr, quoiqu’un peu dispendieux. Mais les deux n’allaient-ils pas de pair ?
Bartholomoy jeta un œil distrait dans la rue. Faire venir des Canaques serait fort coûteux. Et rien ne garantissait le retour sur investissement. Les finances de la Fédération étaient suffisamment mauvaises pour qu’on ne monte pas de tels projets sur un coup de tête. Or, en tant que président de la Fédération, Bartholomoy se devait d’agir avec circonspection. Mesure. Discernement.
Dans cette optique, il demanda :
– Et pourquoi pas des girafes ou des hyènes ? Ce serait tout aussi exotique. Et plus raisonnable, à tout point de vue.
– Mais pour le frisson, mon ami ! Le frisson ! s’exclama Seguin en levant les bras au ciel.
Son œil gauche se plissa, sa voix se fit plus compacte :
– Tu sais que je suis toujours très introduit dans les salons. J’ai appris qu’André-Paul Antoine et Robert Lugeon allaient bientôt présenter un court-métrage tourné aux Nouvelles-Hébrides. Nouvelles Hébrides ou Nouvelle-Calédonie, pour le quidam, c’est bonnet blanc et blanc bonnet.
– Certes.
– Le film s’intitulera « Chez les mangeurs d’hommes ». Il promet des scènescroquantes. Voilà de quoi relancer la mode des océaniens ! Et préparer le terrain pour notre exhibition.
Bartholomoy s’avança vers le canapé pour gourmander son ami.
– Voyons, Seguin, toi et moi sommes bien placés pour savoir que, grâce aux bienfaits de notre présence sur leurs terres, les Canaques ont fini par se débarrasser de cette fâcheuse manie d’anthropophagie.
Seguin arqua un sourcil malin :
– Oui, mais le public, lui, l’ignore.
Bartholomoy acquiesça, pensif. C’était un fait somme toute curieux : malgré leur engagement (forcé, certes) aux côtés de la patrie pendant la Grande Guerre, on persistait à prendre les Canaques pour les pires sauvages que la terre ait jamais portés. En vérité, on semblait même y prendre un certain plaisir. Ou un plaisir certain.
Seguin se leva en ahanant, avant de venir se poster en face du président.
– Le public veut du frisson, le public veut se faire peur, le public veut voir
Il marqua une pause :
–…des bêtes.
Puis il lui passa un bras autour de l’épaule, comme pour mieux l’entraîner dans ses pensées.
– Offrons-leur. Offrons-leur un voyage dans les tréfonds de l’inhumanité. Les cannibales de Nouvelle-Calédonie. Ne vois-tu pas la foule qui se presse contre les grilles, les épouses qui frémissent au bras de leur mari, les enfants à qui l’on promet des crocodiles, des sauvages ET des cornets de friandises ?
Bartholomoy imaginait parfaitement la scène. Les indigènes pourraient danser le pilou-pilou et dévorer de la viande à mains nues.
– Nous pourrions faire un prix, s’emballa Seguin. Crocodiles et Canaques, 8 francs les deux visites. Ou même un abonnement, pour venir chaque dimanche. Je vais faire des calculs précis. Mais je suis persuadé qu’avec un peu d’habileté, il est possible de dégager un joli bénéfice. Qui nous permettrait de rembourser nos dettes et de financer nos prochaines actions. Depuis le temps qu’on annonce la construction d’un orphelinat à Toulouse !
Bartholomoy cacha son malaise en retournant chercher son cigare. L’installation de la Fédération dans ce nouvel appartement de deux cents mètres carrés n’avait peut-être pas été sa meilleure décision.
– Pourquoi pas, marmotta le président. C’est à considérer.
– C’est à considérer rapidement ! Une telle entreprise nécessite de l’anticipation. Il faut plus de deux mois pour rallier la France depuis la Nouvelle-Calédonie. Sans compter qu’on doit obtenir l’accord de Guyon.
À ces mots, Bartholomoy reprit une posture assurée. Sur ce plan, ce ne serait qu’une pure formalité. Le Gouverneur de Nouvelle-Calédonie, Joseph Guyon, était un ami. Il en ferait son affaire.
– Alors, fournis-moi des chiffres. En plus du voyage, il faudra les loger, les habiller, les nourrir. Les ignames ne poussent pas sur le Champ-de-Mars.
Il attrapa une allumette dans le pyrogène en bronze, qu’il frotta contre la partie rugueuse pour enflammer le bout de son cigare. Une odeur réconfortante se déroula aussitôt.
Des Canaques.
Pourquoi pas.
Et surtout, quoi de plus concret pour soutenir la mission civilisatrice de la colonisation, à l’heure où certains illuminés se permettaient d’émettre des protestations ? Montrer au peuple parisien dans quel état primitif on avait trouvé ces populations serait bien plus efficace que la meilleure des argumentations.
Bartholomoy tira une longue bouffée de son cigare.
Sans compter que les Canaques seraient sûrement très heureux de venir présenter leur culture à Paris.
Oui, examiné sous cet angle, c’était presque une bonne action. 






jeudi 10 juin 2021

PUSH

 Voilà, PUSH est en librairies ! 

J'espère qu'il plaira à toutes les amoureux.ses de gymnastique de 12 ans et +, qu'il donnera envie aux autres de faire des cabrioles dans le salon (attention quand même), et aussi bien sûr, qu'il sera compris comme je voulais qu'il le soit. 

PUSH est un livre sur le déni, sur la tentation de remiser au fond du placard une réalité qu'on n'a pas envie de voir. Etre la personne qui parle, quand la victime n'ose pas, c'est accepter la sidération, le dégout, la déception. C'est aussi, inconsciemment, endosser le rôle de celui ou celle qui va "tout foutre en l'air", a fortiori quand les enjeux sportifs ou affectifs sont forts. Ce n'est pas évident pour tout le monde. Il est peut-être parfois plus facile de prétendre que ce n'est pas si grave, de refouler, de faire semblant. Les exemples ne manquent pas. 

Bref, PUSH est un livre sur la parole au sens large. 

Car pour que les victimes de violences (sexuelles ou autres) aient envie de parler, il faut qu'elles puissent être entendues. Il faut qu'on puisse les entendre. Chez elle, dans leur entourage amical, et chez les gendarmes. 

Merci à Alice Paul du magazine Lire Jeunesse pour sa chronique !


PUSH, aux éditions Casterman, à lire à partir de 12 ans









vendredi 4 juin 2021

Une visite à l'Exposition Coloniale

En ce moment, je travaille sur un roman qui revient sur une page peu glorieuse de l'histoire française, dans les années 30. Beaucoup de travail, de documentation, films, articles, essais, coupures de presse, d'émissions de radio (merci France Culture avec qui on peut même être incollable sur les bambous gravés)... de questions, de doutes, parfois, je me demande pourquoi je m'engage dans des chantiers pareils... mais je continue quand même !

En tout cas, si vous ne savez pas quoi faire ce we, je vous propose une petite visite virtuelle à l'Exposition coloniale de 1931, un véritable Disneyland à la gloire de la "mission civilisatrice" de la III République. Je n'y étais pas, mais j'espère qu'on s'y croirait tout de même. 

(évidemment, les opinions des personnages n'engagent pas la mienne 😱)



 Ci-dessous, les deux affiches officielles, dessinées par Desmeures et Bellenger.
Le maréchal Lyautey, commissaire de l'exposition, voulait qu'elles soient systématiquement présentées ensemble (on comprend l'idée 😬). 








    13. 


Après quelques jours de pluie qui firent craindre aux enfants Noblecourt un report de la visite, le dimanche s’avéra aussi radieux qu’on pouvait l’espérer.
On se rendit à l’Exposition en métro, Monsieur Noblecourt avait tenu à emprunter la ligne 8 qui avait été construite spécialement pour l’occasion, il fallait faire honneur au génie français.
La Porte Dorée franchie, la famille fut plongée dans un autre univers.
Pousser les grilles de l’Exposition, c’était s’ouvrir à un monde inconnu, reconstitué comme par magie en plein cœur de la ville. Celui d’une « Plus grande France » flamboyante et bigarrée, conquérante et civilisatrice, scandée de palmiers, de senteurs d’épices et de miels, d’oriflammes vert de jade ou jaunes safran, de musiques étonnantes, tambourinantes ou flûtées, qui s’infiltraient au plus profond des cœurs pour les faire voyager.   
On commença par admirer la façade du Palais des Colonies, seul bâtiment qui aurait vocation à rester une fois l’Exposition terminée. En haut des marches triomphait une immense Athéna coiffée d’un casque gaulois, 8 mètres de gloire et de splendeur dorée.
 « La France a-ppor-tant la paix et la pro...pros-périté aux colonies » déchiffra la petite Marie-Andrée, heureuse de mettre à profit ses compétences en lecture, fraichement acquises.
On entama la visite par l’avenue Dausmenil, consacrée aux sections des autres puissances européennes. L’empire britannique y faisait figure de grand absent, et Monsieur Noblecourt déclara que cela n’était pas étonnant, crise ou non, il fallait bien que la perfide albion fasse honneur à sa réputation.  
On y passa assez rapidement, tout le monde était très impatient d’arriver aux pavillons de l’empire français. On garderait le zoo et les attractions pour la fin de la journée. On venait quand même avant tout pour se cultiver.
Les pavillons situés de part et d’autre de l’Avenue des colonies surpassèrent les attentes de toute la famille. Certes, ils avaient étudié le plan, imaginé le charme de la statuaire indienne, l’habilité des potiers de somalie, des brodeurs tunisiens, la majesté des spahis en burnous blancs, la blancheur des coupoles ou la délicate majesté de l’art indochinois, mais tout cela n’était rien en comparaison de ce qu’ils découvrirent ce jour-là.
Même Madame Noblecourt, qui regimbait toujours à se divertir (la faute à des années de pensionnat chez les sœurs carmélite), avait laissé son âme d’enfant ressurgir. Quelle étrange chose que ce village soudanais, construit avec de la terre ! Que ces artisans africains sculptant le bois avec adresse ! Quel enchantement que ces danseuses annamites, avec leurs jolis petits pompons sur la tête ! Et le cortège du roi Behanzin ! Et ces minarets, ces pagodes, ces temples abritant des jardins luxuriants, ces immenses statues grimaçantes dont on frémissait avec délice ! Ces couleurs ces tambours ces odeurs ces chants ! C’était presque trop, on passait d’un univers à l’autre, de l’enchantement à la stupéfaction, du raffinement des soieries à la rudesse de masques terrifiants, non vraiment, personne n’était préparé à tant d’émotions !
Vers onze heures trente, Irène insista pour déguster un café maure, tandis que Marie-Andrée réclamait un tour de pirogue sur le lac. Pourquoi s'asseoir, il y avait encore tant de choses à voir et à faire ! La promenade à dos de chameau ! Le scenic railway ! Les girafes et les éléphants ! Et puis, on n’était même pas monté dans le petit train jaune ! Un seul dimanche n’y suffirait pas, assurément.
- Ne t’inquiète pas, mon enfant, la rassura Monsieur Noblecourt. Nous reviendrons. Victor, Irène, n’est-ce pas que vous pourrez emmener de nouveau ce cher petit ange ?
Les deux ainés approuvèrent. Y passer chacun de leurs dimanches jusqu’à novembre ne poserait aucun problème. On voulut même revenir en soirée.
- Regardez, Papa, déclara Irène, programme à l’appui. Il serait presque insensé de rater pareilles fêtes.   
Edouard Noblecourt jeta un œil au dépliant, offert par Suze, l’amie de votre estomac. Fête de la lumière le 5 juin, Nuit tahitienne le 19, Féerie coloniale le 13 juillet....
Tout le monde dut bien reconnaitre que le programme était alléchant. Il fut d’ailleurs décidé qu’on prendrait un abonnement, 20 francs pour des visites à volonté seraient vite rentabilisés.
Après un rapide détour pour admirer les tapis persan, on s’accorda une pause méritée au restaurant indochinois. Avec son toit aux pointes recourbées et ses décors de laque rouge, il passait pour être le plus raffiné de l’Exposition. Sur une terrasse ombragée, au bord du lac, on se fit servir des mets qu’on n’avait jamais mangés, de la salade de poisson au citron vert et piment pour Irène, du canard aux cacahouètes pour Monsieur ou encore de la papaye verte pour Victor. Marie-Andrée s’endormit devant son riz.
Sur le coup de quinze heures, un peu groggy par le repas, les cithares et les tambourins, on reprit la visite. Les allées étaient déjà plus denses, à certains endroits, il était presque impossible de voir quoi que ce soit. Marie-Andrée commença à pleurer, elle avait perdu ses découpages reçus sur le stand marocain. La proposition de Madame Noblecourt d’aller visiter les pavillons des missions religieuses fut écartée sans ménagement, on irait plutôt au souk, ce serait tout de même plus amusant.
Puis vint l’heure où il fallut songer au retour. Marie-Andrée était fatiguée et il fallait trancher. Encore une ou deux visites, pas plus.  
On décida de mener la petite dans ce fameux zoo que l’on venait de construire grâce au concours des allemands, pionniers dans ces nouveaux parcs en plein air. Marie-Andrée l’avait bien mérité. A cette perspective, la petite manifesta un regain d’énergie. 
Mais avant cela, il fallait tout de même aller voir une dernière chose.
Le temple d’Angkor-Vat, clou de l’Exposition, apothéose de 55 mètres de haut, avec ses lignes de faîtes à la conquête de l’horizon.


 

jeudi 20 mai 2021

J'ai un fils

 J'ai un fils. Un grand, qui a 14 ans maintenant. Un garçon qui fait du kitesurf, du trail, un garçon très drôle et subtil, cultivé, expert en bordel, en mauvaise foi et en "t'inquiète je gère" (rien du tout oui), qui aime voyager et découvrir le monde à nos côtés. Il sait faire des lessives en séparant le blanc et les couleurs, repasser à peu près ses polos pour le collège, recoudre un bouton, se faire à manger sans transformer la cuisine en Tchernobyl (enfin, selon ses critères), mais pas du tout se mettre de la crème solaire.

Un jour, il sera un homme. Et il aura des enfants, peut-être. J'espère qu'il comprendra qu'il s'agira alors du rôle le plus important qui lui sera jamais confié. J'espère qu'il s'en saisira, qu'il prendra la place qui lui revient. J'espère qu'il sera un père, un vrai, un qui met les mains dans le cambouis du quotidien, un qui n'est pas juste un symbole, une voix de temps à autres. Et j'espère qu'il comprendra qu'être ce papa-là n'enlève rien à sa masculinité, au contraire. 


Ce vendredi 21 mai sort Ma poupée, aux éditions Talents hauts. Illustré par Maureen Poignenec, il est pour tous les petits papa (et aussi toutes les petites mamans) en devenir. Parce que jouer à la poupée, c'est apprendre à être père. 

A lire à partir de 3 ans ! 





Résumé éditeur  

Un enfant joue avec sa poupée. Il la promène dans sa poussette, la serre dans ses bras, s’inquiète de ses besoins : « Tu as soif, mon bébé ? », « Tu as faim, mon bébé ? », « Tu veux un bisou, mon bébé ? » Attendrie, une vieille dame l’interrompt : « Tu joues à la maman ? » En toute innocence, l’enfant lui répond : « Non, c’est au papa que je joue ! »








Ici, des jolis coloriages à imprimer, partir de l'album http://bit.ly/colo_mapoupee


mardi 18 mai 2021

De l'importance d'une 4° de couv'

Il y a quelques semaines, les épreuves non corrigées de PUSH ont été envoyées à des blogueurs et journalistes. 
Pour celles et ceux qui l'ont reçu, je tiens à préciser que le résumé qui y figure était provisoire. Le roman aborde bien les violences sexuelles dans le sport, mais sous un angle particulier, celui des mécanismes d'autoprotection que l'on peut ériger lorsqu'on ne veut pas voir une réalité qui fait trop mal, notamment quand on est dans l'entourage de la victime. Parce que parler, quand la victime ne l'a pas fait, c'est inconsciemment endosser la responsabilité de "tout foutre en l'air", de déranger l'ordre établi. Presque une culpabilité.

Bref, pour que la parole se libère, il faut aussi qu'elle puisse être entendue, qu'elle puisse circuler. Et force est de constater que ce n'est pas toujours le cas, malheureusement.


PUSH, en librairies le 9 juin prochain !




samedi 13 mars 2021

Cambridge University Press

 Je suis très heureuse d'apprendre que The Journey within, la nouvelle que j'avais écrite pour le festival danois "Europeean best emerging writers" va être reprise comme support pédagogique par Cambridge Press University ! 






jeudi 25 février 2021

Persist Until Something Happens

En juin prochain, chez Casterman paraitra PUSH (Persist Until Something Happens), un roman ado sur le thème des violences sexuelles dans le sport, et plus particulièrement le déni qui peut les entourer. 


C'est un travail que j'ai commencé en janvier 2020, après avoir entendu Sarah Abitbol sur France Inter, au micro de Léa Salamé. 

A cette époque-là, il y avait eu Adèle Haenel et d'autres bien sûr, mais finalement, bien peu en comparaison avec l'avalanche de révélations qui ont suivi, depuis. Et aujourd'hui, j'ai l'impression qu'il ne se passe pas une semaine sans qu'une nouvelle affaire éclate dans le monde des arts, du sport, des affaires, de la cuisine, des grandes écoles. Cela ne sert à rien de compartimenter. Cela arrive partout.
Dans la classe de votre enfant. Dans votre rue, dans votre immeuble. Dans votre club de ukulélé, de yoga, au bureau, combien sont concerné/es ? 
Cette avalanche me terrifie. Elle tend à montrer que des actes que l'on pouvait, il y a quelques années, encore croire isolés, sont en réalité répandus. 
Du coup, je me pose beaucoup de questions. 
Qu'est ce qui conduit les agresseurs à passer à l'acte ? En général, ils (selon  l'enquête Mémoire traumatique et victimologie, 96% des agressions sont perpétrées par des hommes) n'ont pas le profil de prédateurs sexuels. Ce sont des gens "normaux", qui sont pères, frères, maris, oncles, cousins, voisins, amis. D'ailleurs, dans la majorité des cas (90%) la victime connait son agresseur.
Est-ce une question de culture, d'éducation, de société qui valorise encore, quoi qu'on en dise, la masculinité, qui encourage les filles à accepter, à se taire, à croire que c'est de leur faute, qu'elles l'ont  cherché ?
Est-ce une question toute basique, de force physique ? De pouvoir professionnel ? De carence parentale ? 
Est-ce que mon fils pourrait être un de ceux là, malgré toutes les valeurs que j'essaie de lui inculquer ?
Est-ce que ma fille, ou mon fils, s'ils étaient agressés, auraient honte de me le dire ? 

Je songe aussi qu'il y a quelques années, il était courant d'entendre des "elle a couché pour réussir". Pourquoi n'envisage-t-on jamais ce sujet sous l'angle du viol ? Pourquoi ne dit-on jamais " encore un qui a profité de sa situation pour violer ?. 

Beaucoup de questions, donc. 


Dans ce roman, j'ai essayé d'aborder les violences sexuelles sous un prisme particulier, celui des mécanismes d'autoprotection que l'on peut se construire lorsqu'on ne veut pas voir une réalité qui fait trop mal, qui dérange, notamment quand on est dans l'entourage de la victime. Car pour que la parole se libère, il faut aussi qu'elle puisse être entendue. Et force est de constater que ce n'est pas toujours le cas, malheureusement.



Ci-dessous, la couverture - que j'adore -, un petit extrait ainsi qu'une vidéo réalisée pour Casterman, sur la genèse de ce roman. 









Qu’est-ce qui vous rend heureux.se ?

 

Partir en compétition.
J’aime cette impression de me sentir vivante, privilégiée, quand, très tôt le matin, je quitte la maison. Je respire la nuit, je me cale au fond du siège de la voiture et je regarde le paysage défiler derrière les fenêtres. Je compte les rares maisons qui avouent des insomnies, dans les autres, j’imagine les gens endormis et je pense que je gagne des moments de vie.
J’aime arriver sur le parking, retrouver Manon et les filles, coiffées et habillées à l’identique, survêtement blanc cheveux tirés, j’aime le bruit mou des sacs qu’on jette dans le coffre du bus, nos bâillements et les rires qui incisent la nuit. J’aime les regards des parents qui cajolent nos silhouettes, celui des petites sœurs qui nous envient, l’odeur des thermos de café de chocolat chaud, la voix de mon père alors, on va où déjà ? à la foire aux bestiaux ?, le visage faussement consterné de ma mère, celui d’Anne-Laure qui l’est probablement en vrai, le ronron du moteur sur les heures de route, les chansons ça et là, les discours de ma mère, les vidéos de Mélanie de Jesus Dos Santos ou Katlyn Oashi, les selfies idiots, l’homéopathie, le Cicatryl pour consoler les paumes abimées, les fruits secs officiels, les chamallows officieux.
J’aime l’arrivée dans un gymnase qui n’est pas le nôtre mais qui ressemble à tous les autres, les cœurs chamades, les dos qui se redressent à l’approche des autres équipes, l’impression d’être tantôt grandes ou minuscules, l’envie de faire bien, de faire mieux, l’émulation qui picote les muscles, la peur qui essore le ventre, l’odeur des vestiaires inconnus, de la magnésie, puis celle des agrès patinés par des milliers de mains, de pieds, l’odeur du métal, de la sueur et du cuir.
J’aime les bras croisés de ma mère, son attitude rassurante et stoïque, les clins d’œil confiants d’Anne-Laure, les échauffements en musique, parfaitement synchrones, petites parades pour se toiser, impressionner et être impressionnées. J’aime vérifier ma coiffure, placer une dernière barrette, vaporiser un dernier coup de laque, vérifier la tenue du justaucorps, remettre un peu de colle sur les fesses, les filles, qui a du « ça-tient », j’ai oublié le mien !
J’aime la peur qui enfle au fur et à mesure que l’horloge me rapproche de mon entrée en scène, la voix dans le haut-parleur, celles des filles – aalleeez, avec l’intonation qui remonte sur la fin – le sentiment d’être importante, d’être là, maintenant, pour quelqu’un, pour quelque chose, d’avoir un rôle à jouer dans une équipe, d’être une brique, une brique solide, une brique pour vivre plus fort, plus haut, une brique parmi d’autres pour élever l’édifice.

 

  lundi 14 septembre, 19 h 35


vendredi 12 février 2021

Petit concours

 Il parait que notre petit Dynamythes (Benoit Perroud aux pinceaux, Casterman aux manettes) remporte un franc succès en librairies !

❤

Alors, pour vous éviter un combat à mains nues autour du dernier exemplaire, j'en offre un au plus sympa d'entre vous (c'est Tyché qui décidera de qui il s'agit, bien sûr).
Rendez-vous sur ma page facebook pour participer !



mardi 2 février 2021

Zine Zine

Connaissez-vous Zine Zine ?

Sur France 4, ce mag vitaminé explore chaque semaine l'actualité de la pop-culture jeunesse.

Dans l'épisode du 20 janvier, on y parle de mythologie et de mon Dynamythes, qui, me dit-on

dans l'oreillette, rencontre déjà un franc succès dans les écoles et les collèges :-)


L'épisode est à revoir ici :