Pas mal de boulot de recherches....énormément, en fait.
Je ne sais pas si il sera publié. Mais après tous ces mois à fouiller le net, les bibliothèques,les librairies et les banques de données universitaires à propos de cette immense caserne à ciel ouvert qu'est l'Erythrée, je sais déjà que j'en reviens changée.
En voilà deux petits extraits :
Je
réalisai bien vite que la giffa ne concernait pas que le Capri. Toute la rue
avait été cernée. Des camions militaires la barraient tous les cinquante mètres
environ, décourageant quiconque de sous soustraire aux vérifications. Mes
parents et moi, tout comme le reste des clients et du personnel du Capri sommes
venus compléter la grande ligne de citoyens accroupis qui s’était formée dans
la rue. Les papiers blancs et jaunes des laissez-passer fleurissaient au bout
des doigts et c’est avec un geste saccadé que ma mère me fourra le mien dans la
main.
Lentement, les soldats examinaient les précieux sésames.
Nom, prénom, ministère d’affection, zone de circulation.
De temps à autres, comme un fruit pourri, un homme ou une femme était tiré du rang, qu’un autre soldat poussait sans ménagement dans le fourgon le plus proche.
Une femme voilée a trébuché, le soldat lui a donné un coup de kalachnikov dans la cuisse pour la faire se relever.
C’est alors qu’un soldat à la moustache fine s’est approché de mon père et lui a réclamé son laissez-passer. Comme il le tendait, je ne pus que remarquer les larges auréoles de sueur qui maculaient sa chemise claire. A cet instant et pour la première fois, il me parut vieux, faible. Infirme.
Mon père, l’ancien tagadalti, un de ces vétérans chéri par la Patrie, réduit à montrer son petit papier, comme n’importe qui.
Quand le soldat s’est posté devant ma petite sœur, elle n’a rien pu faire d’autre que de fixer ses pieds. Comme le soldat lui ordonnait de se dépêcher, elle s’est mise à pleurer et ma mère a attrapé le laissez-passer en s’excusant.
Puis ce fut mon tour.
Autour de moi, tout avait disparu. La rue, les façades décrépies côtoyant l’immeuble moderne du bout de la rue, les lampadaires faiblards et le trottoir carrelé et les affiches à la gloire des soldats et les boutiques et les fourgonnettes militaires et les auréoles de mon père. Il n’y avait plus que la main de ce soldat qui tenait mon laissez-passer. Se pouvait-il que je sois un fruit pourri ? A ce moment-là, je ne savais pas exactement ce qu’il devait contrôler.
Sur le chemin du retour, aucun de nous quatre n’a dit quoi que ce soit. Sur la chemise de mon père, l’empreinte de la sueur séchée n’en finissait pas de crier qu’il avait eu peur.
J’avais 12 ans et c’est la première giffa dont je me souvienne.
J’avais 12 ans et c’est la première fois que je me suis posé la question. La
vie était-elleLentement, les soldats examinaient les précieux sésames.
Nom, prénom, ministère d’affection, zone de circulation.
De temps à autres, comme un fruit pourri, un homme ou une femme était tiré du rang, qu’un autre soldat poussait sans ménagement dans le fourgon le plus proche.
Une femme voilée a trébuché, le soldat lui a donné un coup de kalachnikov dans la cuisse pour la faire se relever.
C’est alors qu’un soldat à la moustache fine s’est approché de mon père et lui a réclamé son laissez-passer. Comme il le tendait, je ne pus que remarquer les larges auréoles de sueur qui maculaient sa chemise claire. A cet instant et pour la première fois, il me parut vieux, faible. Infirme.
Mon père, l’ancien tagadalti, un de ces vétérans chéri par la Patrie, réduit à montrer son petit papier, comme n’importe qui.
Quand le soldat s’est posté devant ma petite sœur, elle n’a rien pu faire d’autre que de fixer ses pieds. Comme le soldat lui ordonnait de se dépêcher, elle s’est mise à pleurer et ma mère a attrapé le laissez-passer en s’excusant.
Puis ce fut mon tour.
Autour de moi, tout avait disparu. La rue, les façades décrépies côtoyant l’immeuble moderne du bout de la rue, les lampadaires faiblards et le trottoir carrelé et les affiches à la gloire des soldats et les boutiques et les fourgonnettes militaires et les auréoles de mon père. Il n’y avait plus que la main de ce soldat qui tenait mon laissez-passer. Se pouvait-il que je sois un fruit pourri ? A ce moment-là, je ne savais pas exactement ce qu’il devait contrôler.
Sur le chemin du retour, aucun de nous quatre n’a dit quoi que ce soit. Sur la chemise de mon père, l’empreinte de la sueur séchée n’en finissait pas de crier qu’il avait eu peur.
J’avais 12 ans et c’est la première giffa dont je me souvienne.
la même ailleurs, par-delà les frontières de mon pays ?
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Dans le désert, tu pries. C’est tout ce qu’il te reste.
Il n’y a plus de jours, plus de nuits. Plus d’avant, plus d’après. Plus de pays. Au Soudan ou en Libye, le Sahara reste le même. Que tu viennes d’Erythrée, de Somalie ou d’Ethiopie, que tu aies douze ou quarante ans, ta réalité se limite désormais à ces trois mètres carrés dans lesquels tu t’entasses avec trente autres migrants. L’arrière d’un Land Cruiser cabossé.
Tu le connais par cœur, cet univers. Les trous sur la banquette de velours élimé, dans lesquels tu peux glisser ton doigt pour sentir la mousse qui se délite. La cabine qui a été enlevée, pour gagner un peu d’espace sur les côtés. Les petites gravures ça et là, sur le plastique ou sur la tôle, comme des traces laissées par ceux qui ont tenté leur chance avant toi. La peau des autres contre tes bras. Leur souffle chaud, les plaintes ou les mots âcres qu’ils lâchent parfois. Le clapotis de l’eau qui se brise contre les parois du jerrican, petite mer agitée - une mer coupée d’essence, pour que personne ne soit tenté d’en boire trop. L’odeur aigre, poisseuse, animale, dont tu ne sais plus si elle t’appartient ou pas et qui ne te dérange plus depuis longtemps. Le gémissement du moteur quand il patine, descendez, il va falloir pousser. La lueur des phares d’un 4*4 et l’harmonie parfaite de trente cœurs qui s’emballent de terreur. Si ce sont des trafiquants, qu'est ce qu'ils te prendront ? Ton argent, tes reins ou tes yeux ?
Le sable qui s’insinue partout. Les yeux qui brûlent, la gorge dont les parois te semblent être devenues de bois. La fournaise de la journée qui te fait languir de la nuit. Le froid de la nuit qui te fait languir de la journée. Les formes desséchées que tu voudrais ne pas regarder mais sur lesquels tes yeux accrochent tout au long du chemin. Le chapelet que tu égrènes entre tes doigts, Seigneur Tout Puissant, faites que je ne sois pas le prochain.
Si la dune est trop raide, monter à pied.
Si un passager meurt, le jeter par-dessus bord.
Au bout du troisième, tu n’y es toujours pas habitué. Et tu te fais horreur, parce que tu viens de penser que désormais, tes trois mètres carrés te semblent légèrement moins étriqués.
1 commentaire:
Des extrait très forts.. merci pour ce partage !
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